Nuit d’épouvante à Ernonheid, le 17 août 1914
Plus aucun témoin oculaire des longues heures de la nuit d’épouvante du 17 août 1914 n’est encore en vie.
Ceux qui les vécurent ne les oublièrent jamais et furent à jamais convaincus qu’ils ne durent d’avoir eu la vie sauve qu’au seul sang-froid de leur jeune curé, l’abbé Janssen, qui connaissait l’allemand.
La place du village avant 1914
Dans la soirée, les soldats du détachement allemand stationné dans le village commencent à faire le tour des habitations et avec une brutalité et une sauvagerie sans pareil, en font sortir tous les occupants. Des hommes, dont mon grand-père, sont attachés à des roues de char. Une femme enceinte est frappée d’un coup de sabre qui la blesse au visage…
Après avoir aligné hommes, femmes et enfants devant le mur de l’école, les allemands les mettent en joue puis déposent leurs fusils.
A plusieurs reprises, ils recommencent ce cruel stratagème. Ensuite, l’un d’eux hurle :« Tous à l’église…! » Celle-ci n’est distante que d’une centaine de mètres et bientôt, c’est quasi toute la population du village qui sera enfermée dans l’église à laquelle on menace de mettre le feu (des bottes de pailles y ont été jetées), pour une nuit interminable de terreur et d’épouvante.
Parmi eux, une jeune fille, les yeux pétrifiés par l’horreur, s’écrie :« ils ont pendu mon papa… »
En début de soirée, Monsieur Victor Vuidar, cordonnier de profession, s’en était allé rechercher des victuailles dans une cachette qu’il avait aménagée à l’orée du bois, non loin du cimetière. Il fut arrêté par les soldats allemands, accusé d’espionnage et pendu sans autre forme de procès, à la branche d’un sapin. Il fut finalement la seule victime de cette barbarie. Son épouse et ses deux petites s’étaient enfuies dans les bois.
Dans le même temps, les soldats allemands commencent à incendier les maisons dans lesquelles dorment encore de très petits enfants. Des mamans sont autorisées à sortir de l’église pour aller sauver leur petit des flammes, chacune accompagnée d’un soldat allemand. Tous les enfants pourront être ainsi sauvés, mais il en fallut de très peu pour certains.
Tous les habitants ne passeront pas la nuit dans l’église. Quelques uns vivront ces évènements, terrés dans les bois de la Taille Boha (situés derrière le cimetière) où ils avaient pu s’enfuir juste avant le début de la rafle.
Parmi eux, ma maman, âgée de six ans et demi, avec sa mère et ses trois frères âgés respectivement de 8, 4 et 2 ans. L’un de ses petits frères avait la coqueluche et ma grand-mère s’employa toute la nuit à tenter d’étouffer les quintes de toux de crainte d’être repérée par les soldats.
Que de fois, elle m’a parlé de ces heures interminables où la peur et l’incompréhension confèrent à de tels évènements, une vision d’apocalypse pour un enfant de cet âge.
Les rugissements des soldats, les pleurs des femmes et des enfants, les cris affolés du bétail, le ciel embrasé des incendies aux quatre coins du village, l’odeur du calciné omniprésente…tout cela par une douce nuit d’été.
Ce n’est qu’en début de matinée que les troupes allemandes quittèrent le village, laissant derrière elles, 14 maisons incendiées avec leurs granges, étables et autres annexes. Les villageois aux yeux hagards et incrédules se retrouvèrent par petits groupes à déambuler parmi les ruines, allant aux nouvelles de ceux dont ils avaient été séparés durant la nuit.
Sources : Les souvenirs de ma maman & « Quand les conflits troublent la paix de nos vallées » – Les « Hèyeüs d’Sov’nis » de l’Athénée Royal d’Aywaille – Collection PAC Aywaille – Ed. Dricot
Voici le témoignage de ma maman, quelques semaines avant sa mort, tel qu’il fut retranscrit d’après un enregistrement sur cassette audio réalisé par Melle Stéphanie Dewère et son fiancé, M. Michael Hocke, ainsi que ma soeur Mady : c’étaient ses souvenirs des évènements avec un recul de 69 années…
Je suis née le 23 janvier 1908.
Pour se rendre à l’école, on n’avait ni bottes, ni souliers; on marchait dans des sabots et en classe, on mettait de petites pantoufles pendant que les sabots séchaient.
Je me rappelle le jour de la guerre : il y avait des chariots et l’on tirait les canons avec des chevaux.
Dans le ciel, on voyait de gros « cigares » volants (des dirigeables) passer lentement dans le ciel. C’étaient des « trucs » remplis d’hélium qui s’enflammaient rapidement et avec lesquels il y avait souvent des accidents.
J’avais 6 ans et demi, le 17 août 1914, quand les Allemands ont brûlé notre village. A leur arrivée, dans la soirée, ils sont entrés dans la maison familiale et ont saisi mon papa pour lui attacher les mains derrière le dos.
A un moment, des soldats donnèrent l’ordre de brûler le village. C’est alors que ma maman avec ses quatre enfants dont moi, ainsi que deux petites voisines, nous avons pris la fuite.
On était les pieds nus, pas le temps de s’habiller; trois d’entre nous avions la coqueluche.
Nous nous sommes cachées toute la nuit dans le ruisseau du Pourceau-Pré au fond du Bois de la Taille Boha.
Pendant ce temps là, les soldats ont incendié 14 des 18 maisons que comptait le village. Ils ont pendu un homme à un sapin et ont aligné les autres en les menaçant de « tirer dans le troupeau ».
En ce temps-là, notre curé, M. Janssen, bavarois (?) parlait donc un peu l’allemand. Il intervint auprès des Allemands afin que l’on ne tue pas les villageois rassemblés devant l’église.
Heureusement, arriva un contre-ordre : les Allemands devaient partir immédiatement. Les Français arrivaient-ils pour aider les Belges ?
Plusieurs hommes, dont mon père, étaient attachés aux roues d’une charrette pour qu’ils ne puissent pas s’enfuir ; on les obligea à regarder le pendu, tout en leur répétant : »à votre tour tantôt, à votre tour… »
Les soldats sont partis en emmenant mon père et l’on relâché peu après.
Nous sommes rentrées au village le lendemain, dans la crainte et en faisant de grands détours. On y sentait le brûlé, la fumée, même le bétail avait brûlé dans les étables…
Fouloup
Ernonheid-Aywaille
17 septembre 2011
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