Stèle du loup à Tilff (détail)
Dans un article précédent, il a été démontré que la chasse et la traque des loups étaient fortement encouragées par l’autorité impériale française, entre autres, en gratifiant généreusement les paysans qui capturaient et tuaient des loups. Les procédés de piégeages et d’empoisonnement donnaient finalement de meilleurs résultats que les chasses à courre organisées par les lieutenants de louveterie et leurs invités. D’une part, le loup était un animal malin qui sentait venir de loin les équipages et leurs chiens et se jouait facilement de leurs battues, et d’autre part, on en venait, à l’époque, et aujourd’hui surtout, à douter de l’enthousiasme et de la réelle détermination des louveteries à complètement vouloir éradiquer le loup. Comme évoqué par ailleurs, la charge de lieutenant de louveterie, non rémunérée, mais au titre honorifique particulièrement convoité, était largement compensée par l’obtention du droit d’organiser des chasses, privilège récupéré de l’Ancien Régime, et par ceux qui en avaient gardé le goût et les compétences.
Les paysans, premiers concernés par le danger des loups pour leur bétail et leurs troupeaux, et incités par les primes accordées par la République, puis par l’Empire, n’avaient pas attendu la restauration de l’activité de louveterie pour organiser le piégeage des loups, ours et autres animaux nuisibles. La plupart des villages situés près des forêts construisaient des fosses à loups ou louvières munies de pièges. Il ne reste guère de traces de ces fosses dans nos paysages actuels mais ils sont à l’origine de nombreux lieux-dits.
Saint-Léger en Gaume a conservé deux louvières que l’on peut encore observer. [1]
A Tilff, la mémoire collective a un peu oublié l’existence de ces fosses à loups, mais le plan Popp (2) fait effectivement mention de deux fosses à loups. L’une devait se trouver au Pireu, approximativement aux environs du barbecue actuel, endroit qui a été entretemps remblayé. La petite rue Bégasse, qui y menait, s’est anciennement appelée « chemin du trou du loup ». Une deuxième fosse semble, toujours suivant ce plan Popp, avoir été aménagée, pas loin de là et du ruisseau du Baory, au pied de la colline de Louvetain. C’était sans doute un choix judicieux sur le chemin des animaux (et des loups) venant s’abreuver au ruisseau.
En ces temps lointains, et jusqu’au XVIIIe siècle, on bâtissait, près des villages, à l’orée des bois, des fosses profondes et dissimulées au regard. Elles devaient mesurer de 4,20 mètres à 4,50 mètres de profondeur minimum, car le loup est capable de faire un saut de 2 mètres sans prendre son élan. Il était également opportun de les aménager « en entonnoir renversé », c’est-à-dire avec le fond plus large que l’entrée, pour empêcher l’animal, tombé dans la fosse, de prendre appui pour en ressortir. De plus, la fosse était garnie de deux ou trois pièges à machine dont la force pouvait broyer les os de la victime. Le toit de la fosse était garni de feuillages et de végétaux pour en dissimuler la présence, ce qui n’était pas sans un certain danger pour des villageois imprudents sortant des sentiers habituellement empruntés !
On raconte, à ce propos, une histoire devenue légende dans le Jura, où un jeune homme, passablement éméché, ayant chuté dans une fosse à loups, s’est retrouvé en présence d’un loup tout aussi épouvanté que lui, et qu’ils sont restés en présence l’un de l’autre jusqu’à ce que l’on vienne les délivrer… du moins le jeune homme.(3)
Une histoire semblable circule dans la Drôme. Un soir d’hiver, un musicien rentrant d’une fête de village, un peu distrait ( ?), tombe au fond d’un trou, à « la trappe au loup », et ne sachant en ressortir seul, attend patiemment le matin. Quand, tout à coup, un loup vient à chuter également dans la fosse. Pareillement effrayés, les deux compagnons d’infortune passèrent la nuit ensemble, chacun dans son coin. Ils furent libérés le matin, sans doute pas de la même façon ! (4)
Pour inciter les loups à prendre le chemin de la fosse, on la garnissait parfois d’un cadavre de mouton dont l’odeur attirait le loup, charognard à ses heures, faute de chair fraîche. Pour déjouer la ruse du loup, on traînait la charogne en direction brisée vers la fosse.
Quand il était difficile de creuser, le terrain ne s’y prêtant pas, on construisait une haute palissade circulaire munie d’une porte. Cette palissade en contenait une autre, également circulaire, située à courte distance de la première, de manière qu’une fois entré, le loup ne puisse se retourner et se retrouve, en suivant ce couloir, à son point de départ dont il refermait la porte sans s’en douter. Bien entendu, au centre de la construction, on avait soin de placer une proie, un
jeune mouton par exemple, dont l’odeur et les cris effrayés appelaient invariablement un loup affamé.
Une autre solution a parfois été utilisée. Elle est en fait un projet mixte entre les deux premiers moyens décrits précédemment. On enfonçait les piquets de la palissade dans le sol, toujours sur une profondeur d’environ 4 mètres, de manière à créer une galerie circulaire que l’on couvrait soigneusement d’une toiture dissimulée. Dans cette galerie couverte, on faisait courir un gros chien habitué au grand air et qui allait aboyer toute la nuit parce qu’il n’aimait pas être enfermé. On pouvait remplacer le chien par un mouton, qui allait attirer le loup de la même façon par ses bêlements apeurés. Pour atteindre sa proie, le loup sautait dans la fosse dont le couvercle central s’ouvrait et se refermait automatiquement par un procédé de ressort ou de contrepoids. Le loup se retrouvait ainsi piégé au fond de la construction. L’avantage de cette solution est que la fosse n’était pas complètement dissimulée et que cela évitait des accidents comme ceux narrés dans les deux récits précédents.
Voici un croquis de cette construction, reproduit dans un ouvrage du XVIIIe siècle. (6)
C’est une projection verticale, avec, à gauche, le détail du couvercle qui va s’ouvrir et se refermer avec des poulies et contre-poids.
On se rend compte, par ces quelques exemples, de l’imagination de nos ancêtres pour capturer et tuer les loups, et ce ne sont que des exemples, aux multiples variantes…
Pour terminer, deux modèle d’anciens pièges à loups, présentés à l’exposition « Qui a vu le loup?« , Esneux, 2010-2011. C’est sans explications !
Pour ceux qui préfèrent le poison au piège, voici une recette « éprouvée » (pas par moi !) sur le sujet…
Recette éprouvée pour empoisonner les loups.
Il faut se pourvoir d’un chien de moyenne taille. Vous ferez périr ce chien, en l’empoisonnant avec trois décagrammes (une once) de noix vomique, mêlée avec du crin haché que vous envelopperez de graisse ou de beurre, ou que vous mettrez dans une omelette. On a fait préalablement jeûner le chien, pour qu’il dévore sans répugnance le mets perfide. Prenez ensuite quatre hectogrammes (trois quarterons) de noix vomique, que vous aurez soin de faire râper sous vos yeux : car il faut se méfier de celle qu’on vend en poudre, qui est ordinairement séchée au four, et pilée, ce qui lui ôte toute sa vertu. Vous ramasserez six à huit ognons de colchique, vulgairement appelés veillote, vache, vieille rote, ou tulipe sauvage, plante qui se trouve très communément dans les prés froids et humides, ajoutez une poignée de crins hachés de la longueur de deux millimètres (un ligne). On pile les ognons de colchique, qui se réduisent promptement en lait. Vous y ajouterez la noix vomique et le crin. Faites de profondes incisions au chien dans les parties les plus charnues, introduisez-y le mélange, surtout dans les entrailles, faites coudre les plaies pour les fermer. Déposez le chien dans un fumier chaud, jusqu’à ce qu’il commence à avoir de l’odeur et que son poil se détache facilement. Retirez le chien, et après l’avoir fait traîner dans les endroits fréquentés par les loups, placez-le à la distance d’environ un demi-quart de lieue du bois, et à la portée de fontaines ou ruisseaux où ces animaux viennent chercher de l’eau par les fortes gelées ou les neiges. Lorsque le loup a mangé du chien empoisonné, et qu’il a bu, on est sûr qu’il tombera à peu de distance.
Mme CELNART, Manuel complet d’économie domestique, contenant toutes les recettes le plus simples et les plus efficaces sur l’économie rurale et domestique, à l’usage de la ville et de la campagne, Paris, Roret, Libraire, rue Hautefeuille, 1829, pp. 185-186.
Marc Woillard, Administrateur au Royal Syndicat d’Initiative de Tilff.
(2) POPP Philippe-Christian, Atlas cadastral parcellaire de la Belgique, Bruges, (1842-1879).
(3) Récit recueilli par STECK P. à Poids-de-Fiole (Jura) in Histoire – Généalogie Magazine, avril 2007.
(4) DELHOMME Amédée, Petite histoire d’un village et de son château Eurre, Legrain, 1977.
(5) Maquettes de M.-H. van der Kaa du Cercle de Recherche et d’Histoire de Saint-Léger en Gaume
(6) NIGER Liger, La Nouvelle maison rustique, Paris, 1790.
(7) Piège à col de cygne, Château de Mirwart, collection privée.
(8) Piège à palet, Collection Musées gaumais de Virton.